SKUNKDOG

David “ Skunkdog ” Negri est né en 1968. Il vit et travaille à Marseille.  







Il n’est pas nécessaire de connaître la vie d’un artiste pour en apprécier le travail. Mais avec Skunkdog, l’histoire revêt son importance. Car lorsqu’on entend la sienne, on saisit mieux ce qui, dans sa peinture, attire, révulse ou bouleverse. On y perçoit l’amour, l’excès, la mégalomanie, la violence, la générosité, le geste qui jamais ne s’arrête.

Au départ il y a les livres, la musique, l’insatisfaction de la vie sociale, le mouvement punk, Bob Dylan et Patti Smith – elle lui offrira son nom d’artiste, Skunkdog, le chien-putois. Il y a aussi la rue, son mouvement perpétuel, ses affiches, ses graffitis. C’est elle qui va lui insuffler son énergie et donner un cadre à sa recherche créatrice. Après maints tâtonnements, ce sera finalement la peinture qui recueillera sa volonté frénétique d’expression ; peut-être parce que le langage des couleurs est moins aride que celui des mots ; parce qu’il offre, tant à celui qui peint qu’à celui qui regarde, une immédiateté du sens dont l’écrit ne peut se targuer.
Enfin un travail que l’on peut exercer sans cesser d’être soi : mieux, qui exige d’être plus que soi-même.
Cette liberté quasi absolue du peintre devant sa toile sera, pour Skunkdog, une révélation. Et c’est à corps perdu qu’il va se lancer dans cette aventure, avec un appétit insatiable pour les formes et les signes jaillissant de ses crayons et ses pinceaux. La nature a horreur du vide, Skunkdog aussi, tant il s’attache à exploiter chaque centimètre carré de ses toiles. Son sens naturel de l’expérimentation technique va le pousser à faire de chacune d’elles un véritable laboratoire matiériste. Mélangeant terre, café et résine, grattant et scarifiant sa surface à l’instar d’un mur sans cesse tagué, sans cesse effacé, la toile de Skunkdog devient ainsi l’espace de projection de son imaginaire. Fantasmes, souvenirs, citations culturelles, voire bribes de poèmes : elle absorbe, transforme et restitue tout ce que l’esprit fertile du peintre lui jette en pâture. Car peu d’artistes, autant que lui, nourrissent leur cerveau à toutes les sources informatives offertes par la société moderne. Et Skunkdog, aidé par sa mémoire prodigieuse, va peu à peu retrouver les gestes les plus ancestraux de l’art. Il va revisiter les grands mythes qui structurent notre sensibilité collective pour les décliner à sa manière dans ses
tableaux en aplat, illustrant la maxime qui dit que rien ne naît de rien en ce monde.

Si Skunkdog a trouvé son style dans la rue, ses sujets et ses personnages n’ont rien de réalistes. Ils ne viennent pas – ou très peu – de l’observation du visible mais de ses émotions devant d’autres oeuvres, d’autres artistes, d’autres époques. En témoignent, dans cette exposition, les nombreux tableaux qui mettent en scène des figures religieuses aussi notoires qu’Adam et Eve, le Christ en croix ou Saint Sébastien. Derrière leurs poses, il est assez facile de distinguer l’influence de quelques « piliers » de l’école nordique comme Dürer, Grünewald
ou Cranach. Qu’on ne cherche pas, cependant, une exaltation mystique à travers les variations narratives qu’en donne le peintre : les lèvres peintes en rose de son Jésus crucifié disent bien sa distanciation ironique et le caractère exclusivement esthétique de son approche. Néanmoins, ses tableaux perpétuent une forme de tradition, s’inscrivent de plain-pied dans l’histoire de la peinture occidentale. Un autre thème considérable de sa peinture est assurément la femme. Pas n’importe quelle femme mais celle, puissamment sexuée, incarnée par la prostituée, avec ses yeux surlignés, ses cheveux dressés comme des serpents sur son crâne, ses ailes d’ange déchu et ses costumes d’Arlequin. On songe à Auguste Chabaud, grand tenant de expressionnisme provençal et amateur de bordels (que Skunkdog affectionne particulièrement). Ou à Egon Schiele qui prit souvent, lui aussi, des filles publiques pour modèles. Au demeurant, ce sujet est aussi prétexte à maints jeux graphiques (les traits acérés, la résille) et chromatiques (contrastes de couleurs primaires comme le rouge et le vert). Car la peinture a ses raisons que l’artiste ne peut ignorer.
Le robot est également une figure thématique dont la présence insistante, voire invasive, dans bien des tableaux de Skunkdog ne peut être passée sous silence. Est-ce l’avenir – inquiétant – de l’humanité qu’il nous signifie avec les moyens de l’artiste en ce XXIeme siècle ouvert sur de nombreuses perspectives prométhéennes ? Ou, plus simplement, n’est-ce là qu’un rappel de son goût pour la littérature d’anticipation, Isaac Asimov en tête ?

Ainsi, entre abstraction et figuration, s’élabore une héraldique toute personnelle où chaque tableau prend un caractère de blason, sorte de message biographique crypté pour son public et ses acheteurs. Quant à sa signature, elle est maintenant reconnaissable entre toutes. Si l’art est une affaire de nom, gageons que Skunkdog a su bien choisir le sien.

Jacques Lucchesi